Un curcuma naturel dans les terres d’une immense forêt sèche au fin fond du Gujarat au nord-ouest de l’Inde
Le mercredi 11 mars, on se réjouit de notre rencontre avec Sunny, un producteur de curcuma avec qui on parle depuis plusieurs mois. Au départ, on était très hésitants par cette visite de ferme. Sa situation au fin fond de la jungle de Gir au Gujarat n’est pas des plus rassurantes. En attendant Sunny au bord d’un carrefour tumultueux à Ahmedabad, on se demande dans quelle aventure on s’embarque. Personne n’arrive. On commence à s’impatienter mais 30 minutes de retard est une réalité en Inde et notre précision suisse nous trahit encore bien trop souvent. Une voiture ralentit. Sunny en sort pour nous aider à déposer nos sacs dans le coffre. A l’intérieur, il nous présente son « frère » qui conduit mais qui plus tard s’avérera être son beau-frère. On s’embarque dans le trafic dense d’Ahmedabad.
Sunny et Sanket nous emmènent au bureau. C’est ici qu’il traite l’administratif de ses deux fermes. Dans les environs d’Ahmedabad, il cultive graines de moutarde, de sésame et de fenouil et d’autres épices du nord telles que la coriandre, le cumin et le fenugrec. Il dispose aussi de plantations de moringa, un superaliment utilisé depuis des siècles en médecine ayurvédique. Et dans la jungle de Gir, la terre enrichie, l’air pur et le climat réunissent des conditions idéales pour la culture de mangues Kesar et de curcuma (curcuma longa). C’est cette racine qui nous a poussé à traverser l’Inde pour cette région reculée, le curcuma étant un ingrédient majeur à la plupart des currys indiens. Tout comme le gingembre, la cardamome et le galanga, le curcuma est une plante herbacée rhizomateuse. Également connu sous le nom de « safran des Indes » ou de « racine magique », le curcuma donne du goût et de la couleur et se consomme quotidiennement en Inde. Devenant très tendance aujourd’hui, ce rhizome aux nombreux bienfaits serait un puissant anti-inflammatoire, antioxydant et antimicrobien. Sunny nous explique que ses plantations sont entièrement naturelles, sans traitement aux intrants et que leur but est de partager une bonne santé, avec des superaliments comme le moringa, la betterave et le curcuma.
Après cette halte au bureau, Sunny et Sanket nous emmènent au restaurant Agashiye, reconnu pour servir le meilleur thali gujarati en Inde. Cette invitation dans l’une des tables gastronomiques les plus réputées d’Ahmedabad nous gêne mais ce n’est que le début. Pour eux, leurs hôtes valent de l’or et ne doivent surtout pas dépenser le moindre centime en leur présence. Situé dans le plus bel hôtel historique de la ville, Agashiye n’est pas le type d’établissement qu’on fréquente habituellement en voyage en sac-à-dos.
En franchissant la porte de l’hôtel, on entre dans un univers nous transportant dans une autre époque, à l’architecture du patrimoine colonial du début du XXe siècle. Richement décoré avec des meubles et des accessoires conçus et réalisés par des artisans locaux, les pièces de cet hôtel dégagent un charme particulier.
Au restaurant, une multitude de plats s’enchaînent les uns après les autres, mélangeant des goûts sucrés, salés, piquants, adoucis par un verre de babeurre, la boisson d’accompagnement traditionnelle au Gujarat.
Au restaurant, une multitude de plats s’enchaînent les uns après les autres, mélangeant des goûts sucrés, salés, piquants, adoucis par un verre de babeurre, la boisson d’accompagnement traditionnelle au Gujarat. Les mets sont joliment disposés par petites portions dans des assiettes en bronze, aux propriétés médicinales qui, par leur grande taille, ressemblent à des plateaux. Les serveurs nous servent des poori, des pains soufflés indiens servis lors de grandes occasions, jusqu’à ce qu’on ne puisse plus avaler un grain de riz. C’est un véritable festin que l’on termine par une glace et un snack digestif bien particulier. Il s’agit d’une feuille de bétel dans laquelle se trouve un mélange de graines appelé mukhwas et tout se mange.
Après ce repas mémorable, bien rassasiés, Sunny et Sanket nous emmènent sur l’une des nombreuses terrasses de l’hôtel. Sunny ne peut s’empêcher de nous prendre en photo constamment en disant qu’elles se transforment en souvenirs de toute une vie. Puis, ils nous laissent dans une cour extérieure sur un canapé suspendu typique d’une maison gujarati pendant qu’ils discutent à la réception.
Quand Sunny et Sanket reviennent, ils nous annoncent qu’ils nous invitent à passer la nuit ici avant de partir à 5h00 du matin pour la jungle de Gir. Un employé de l’hôtel nous demande de le suivre à la chambre, en passant par la piscine intérieure et un second restaurant. Derrière la porte en bois foncé, une suite très spacieuse allongée avec un coin salon, un bureau, un lit à baldaquin et une grande salle de bain nous semble démesurée.
Depuis plus d’un mois et demi, c’est la première fois qu’on se retrouve dans une chambre si luxueuse et c’est peut-être même la plus grande chambre dans laquelle on n’a jamais dormi. Sunny et Sanket toquent à notre porte pour savoir si la suite nous convient et nous proposent de se reposer le reste de l’après-midi. On hésite à sortir visiter le quartier de Gandhi mais le confort et le calme de ce lieu apaisant nous retient. Plus tard, on reçoit le « poème du jour » derrière notre porte : « à la lueur du coucher de soleil, la terre semble être un fruit mûr prêt à être récolté la nuit » accompagné de pétales de roses déposés dans un bol en bronze. Une délicate attention. Puis, après une baignade dans la piscine dont le plafond est recouvert d’une fresque de lotus, on s’endort paisiblement.
Très tôt, notre réveil sonne pour le grand départ à la jungle de Gir. Sur le siège passager, le fils de Sunny de 6 ans accompagne Sanket. Sunny conduit une autre voiture dans laquelle se trouve sa femme, son deuxième fils de 2 ans et ses beaux-parents. C’est parti pour 7 heures de trajet.
Vers 10h00, on s’arrête sur un bord d’autoroute pour déjeuner des bhajiya, des petits beignets ronds, à base de farine de pois chiche, de feuilles de fenugrec et de piments verts.
Vers 10h00, on s’arrête sur un bord d’autoroute pour déjeuner des bhajiya, des petits beignets ronds, à base de farine de pois chiche, de feuilles de fenugrec et de piments verts. En début d’après-midi, on arrive au Fern Gir Forest Resort. Sunny et Sanket nous y laissent et nous proposent à nouveau de se détendre le reste de l’après-midi. Décidément, on ne se sera jamais autant reposés qu’avec eux. N’ayant aucun autre choix que de profiter de la chambre, de se promener autours des bungalows et d’observer les terres arides extérieures, on patiente. Les touristes indiens qui y séjournent n’ont qu’un seul objectif : partir en safari à la recherche des derniers lions d’Asie.
C’est dans le Parc naturel de Gir, un écosystème protégé, que les lions se réfugient au fin fond du Gujarat.
C’est dans le Parc naturel de Gir, un écosystème protégé, que les lions se réfugient au fin fond du Gujarat. Entourés de la jungle aride et des plaines semi-désertiques, plus de 2'300 espèces animales y vivent sans craindre la présence de l’homme. Devenue une réserve nationale depuis 1965, on peut y pénétrer uniquement avec un droit d’entrée valable pour une demi-journée.
Sunny nous a inscrit pour une visite le lendemain en fin d’après-midi. Le jour d’après, en se réveillant, on apprend que l’épidémie de coronavirus qui frappe la Chine et l’Europe depuis plusieurs semaines est désormais considérée comme une pandémie par l’OMS. Cette nouvelle n’augure rien de bon pour la suite de notre voyage mais on tente de ne pas trop y penser. Après le petit-déjeuner, Sunny et Sanket viennent nous chercher pour nous emmener au Gir Lion Safari Camp, des tentes luxueuses où toute la famille séjourne.
Vêtu d’un t-shirt avec une énorme tête de lion, Sunny semble particulièrement excité au vu de notre safari. A 15h30, on quitte le village de tentes pour se rendre au départ du safari. On avale une noix de coco et un jus de canne à sucre servies dans ces échoppes qui longent l’artère unique du village, puis on s’installe dans la Jeep totalement ouverte. Aucune grille nous protège. On est tous très agités à l’idée de peut-être apercevoir le roi de la jungle. Cette région sèche serait habitée par plus de 400 lions, 200 léopards et bien d’autres animaux (crocodiles, sambars, antilopes Nilgaut, cerfs, oiseaux, …). Notre guide nous explique qu’il s’arrête s’il entend le cri d’alarme du cerf axis, signifiant qu’un prédateur rôde dans les parages et signalant aux autres animaux sa présence.
On continue d’avancer sur le chemin étroit entouré d’une végétation sèche et d’un sol poussiéreux. Soudain, sur la gauche, on aperçoit une lionne gracieuse se reposant sous les arbres. D’autres Jeep arrêtées l’observent sans un bruit. Elle fait quelques pas, en remuant sa longue queue entre les feuillages et se recouche au sol. Quelle merveille ! On reprend notre itinéraire, en se considérant déjà bien chanceux de s’être retrouvés face à cette féline. Parfois, certains touristes repartent déçus sans rien apercevoir. Très heureux et surexcités, on aurait quand même envie de rencontrer Sa Majesté le lion.
Très heureux et surexcités, on aurait quand même envie de rencontrer Sa Majesté le lion.
Soudain, un cri de cerf axis retentit. On s’arrête. On sourit. On observe de tous les côtés. Le cri continue. D’autres Jeep sont arrêtées le long du chemin. D’où va-t-il surgir ? A gauche, un lion avance vers notre direction. Un coup de volant. Une accélération et on devance les autres Jeep. Le lion longe maintenant le côté droit du chemin, devant le coucher de soleil. On le photographie. Il nous regarde, sans la moindre menace. On l’observe envahis par un bouillonnement intérieur énorme. Sa crinière nous paraît moins touffue que ceux d’Afrique. Impressionnant ! Magique ! Fabuleux ! Les lions de Gir sont habitués à la présence des hommes. On s’en va. Nos sourires révèlent notre joie et notre enthousiasme de ce jour. Un safari 100% réussi ! Et dire qu’on a observé les derniers lions d’Asie en pleine liberté à seulement quelques pas de notre Jeep ouverte.
A notre retour au village de tentes, Sunny et Sanket insistent pour qu’on mange à la ferme ce soir car une visite de leur domaine dans la jungle de nuit est une expérience totalement différente que la journée. On n’est pas très partants mais comme sa femme et ses deux enfants nous accompagneraient aussi, on finit par accepter. Avant de s’y rendre, Sunny nous invite à un spectacle de danses africaines autour d’un feu qui a lieu au resort.
D’habitude, on n’est pas très fanatiques de ce genre de divertissements mais c’est plutôt sympathique. Les Siddhis sont un groupe ethnique de descendance africaine qui vivent aujourd’hui au Gujarat. Ce soir, c’est comme si nous étions téléportés en pleine savane africaine. On termine par danser en cercle tous ensemble autour du feu entre les Siddhis et les touristes indiens. Divers pas de danse de différents continents se mélangent. Un moment drôle où l’on se lâche ! D’après Sunny, ce sont des « lifetime memories ».
C’est parti pour la visite de la ferme de nuit, en pleine jungle de Gir ! C’est excitant et flippant à la fois ! Après une vingtaine de minutes, on approche de la ferme et Sunny nous explique à chaque endroit où il a vu des lions qui vagabondent autour de son domaine.
C’est parti pour la visite de la ferme de nuit, en pleine jungle de Gir ! C’est excitant et flippant à la fois ! Après une vingtaine de minutes, on approche de la ferme et Sunny nous explique à chaque endroit où il a vu des lions qui vagabondent autour de son domaine. Des grillages le protègent. En arrivant, le fermier qui vit sur place et avec qui on a fait le safari prépare des bhajiya à même le sol. Dans ces conditions peu salubres, on doute que nos intestins apprécient mais avec la friture, il y a peu de risques. D’autres ouvriers regroupés entre eux discutent à côté de la cuisine.
Sunny nous montre un campement de tentes très sommaires et meublées avec un seul charpoy, un lit typique indien entièrement tissé à la main. Elles sont mises à disposition des stagiaires en agriculture. Ce campement nous paraît peu sûr et nous sommes bien rassurés de loger dans un cottage du Gir Lion Safari Camp. Maintenant, on comprend mieux les raisons qui l’ont incité à nous avoir réservé des chambres confortables.
Ses beaux-parents n’ont d’ailleurs pas eu envie d’y rester pour dormir et se déplacer jusqu’à la jungle de Gir est déjà une aventure en soi. On s’assied tous ensemble à l’extérieur et on nous apporte de délicieux bhajiya aux herbes, à la patate et au piment. Des beignets indiens fraîchement préparés. En dessert, on nous sert de la pulpe de mangue Kesar et c’est un véritable délice ! Ce type de mangues est connu pour être extrêmement sucré et s’utilise principalement en dessert. Un peu à l’écart, se dresse une sorte de tour en béton. Accessible par une longue échelle, c’est ici que Sunny dort à la belle étoile, observe ses champs de curcuma et les lions.
Sunny et Sanket nous emmènent dans les champs de curcuma. Une fois cueillis, les tiges souterraines (rhizomes) sont bouillies et séchées au soleil.
Le lendemain, on retourne à la ferme de jour et c’est un tout autre décor. Sunny et Sanket nous emmènent dans les champs de curcuma. Une fois cueillis, les tiges souterraines (rhizomes) sont bouillies et séchées au soleil. Cette plante annuelle à feuilles tropicale appartient à la famille du gingembre mais ses rhizomes sont plus petits et plus fins. Une fois la racine déterrée, les rhizomes latéraux sont séparés du bulbe mère qui lui sera replanté. Plus loin, on remarque un tonneau rempli d’un fertilisant naturel à base de bouse et d’urine de vache, de jaggery un sucre non raffiné, de farine de légumineuses et de terre indigène. Aucun produit chimique n’est utilisé.
Après la visite de la ferme, Sunny et sa famille souhaitent nous emmener au temple Somnath. Dans les textes sanscrits de l’hindouisme, le Lord Shiva est cité comme ayant dit : "Je suis omniprésent, mais je suis surtout sous 12 formes et douze lieux". Ces lieux sont connus sous le nom de Jyotirlingas et Somnath est le premier au monde. Consacré à leur Dieu Shiva, Sunny et sa famille prient à ce temple quand ils se déplacent dans les environs. A cette longitude particulière, le temple Somnath est le premier point sur terre entre sa position géographique face à la mer d’Arabie et l’Antarctique. Sa situation est idyllique et son architecture de style Chaulukya est impressionnante ! Venir accompagnés d’une famille indienne dans ce haut lieu de pèlerinage est encore l’une de ces expériences touchantes qu’on n’oubliera pas. Les femmes d’un côté, les hommes de l’autre, on prie « Om Namah Shivaya ».
Avant de reprendre notre longue route pour Ahmedabad, on se fait photographier tous ensemble avec le temple en arrière-plan. Puis, ils nous offrent la photo imprimée et deux paquets de sablés au ghee et au jaggery.
En début de soirée, on s’arrête sur le bord de l’autoroute dans une chaîne de restaurants qu’ils connaissent et on commande plein de spécialités de l’Inde du Sud. Avant de reprendre la route, Sunny et Sanket s’en vont avec la voiture de Sunny qui a l’air d’avoir un problème de pneu. On attend sur le parking de l’autoroute avec sa femme, ses enfants et ses beaux-parents. Kiaan le plus petit de ses fils court et à chaque pas, ses petites chaussures couinent et nous redonnent le sourire.
On repart. Mais après une petite heure, Sanket reçoit un appel de Sunny. On doit s’arrêter urgemment à cause du pneu. Le garagiste n’a pas dû regarder correctement. Le pneu est crevé. Sylvain les aide à le remplacer avec une roue de secours. Et c’est reparti ! Dans la voiture, on chante avec Sanket qui nous révèle ses talents de chanteur avec Wake me up when september ends de Green Day ou encore Complicated d’Avril Lavigne. Puis, il nous fait écouter de la musique de Bollywood. C’est très drôle et des sentiments d’amitié se créent.
Aujourd’hui, on repart émotionnés par cette inestimable hospitalité indienne. On a vécu tant d’émotions à leurs côtés au fin fond du Gujarat pour dénicher le meilleur curcuma d’Inde.
Le soir, Sanket nous dépose à notre hôtel pour notre dernière nuit au Gujarat. Le lendemain, avant de repartir à l’aéroport, Sunny et Sanket nous font goûter des jalebi, une pâte sirupeuse frite en forme de spirale. Une friandise indienne douce mais très goûteuse ! Arrivés à la zone des départs, impossible de retenir nos larmes. Ce séjour au Gujarat en leur présence restera mémorable. Sunny et sa famille nous ont accueilli comme si on était des princes. Cet accueil chaleureux, ces moments de partage, ces « souvenirs de vie » comme dirait Sunny nous ont sincèrement ému. Aujourd’hui, on repart émotionnés par cette inestimable hospitalité indienne. On a vécu tant d’émotions à leurs côtés au fin fond du Gujarat pour dénicher le meilleur curcuma d’Inde. Plus qu’une découverte, ce fût une véritable leçon de vie et d’humilité.
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